vendredi, novembre 26, 2010

Voiture, argent, bijoux et peur de représailles : le prix du silence contre la violence ?

L’on croyait que la violence sexuelle était la première en liste dans la zone de Kinkala en République du Congo, qui a été affectée par des conflits armés jusqu’en 2003. Cependant ; il est surprenant que jusqu’au mois dernier, le nombre de cas de victimes de violences sexuelles déclarées à la Direction départementale du service social pour cette année oit inférieure à 10, selon l’antenne du Club Jeunesse Infrastructure et Développement (CJID) qui se bat pour réduire le phénomène.

C’est au cours d’un focus groupe auquel participait une vingtaine de femmes ménagères, professionnelles, gendarmes et survivantes de violence ce 23 Novembre 2010, que la violence conjugale et domestique ont été épinglées comme les plus répandues dans Kinkala et ses environs. Très vite, au cours de cette rencontre, nous avons senti le malaise ou le silence qui règne au tour de ce sujet. La question que tout le monde semblait se poser est « sommes-nous prêtes à parler de la violence subie dans nos foyers et maisons ? ».

Pourquoi donc ce malaise ?

Simplement, par ce que les choses se compliquent, car cela nous renvoie à des questions de sécurité économique et même alimentaire. Qui va payer pour la nourriture ? Qui va prendre la charge des enfants ? Si, une femme mariée ou en concubinage comme c’est la plupart des cas est répudiée de son foyer pour avoir osé parler de la violence dont elle est victime, ou encore à se rendre à la gendarmerie ou la police porter plainte contre son mari.

Les participantes ont discuté des questions relatives aux us et coutumes, et ont reconnu que les filles partent non « gagnantes » depuis leur enfance, car elles sont élevées pour devenir des «épouses » et des « mères ». La violence conjugale est beaucoup revenue dans les propos. Des exemples ont été cités tels que : « des hommes qui suivent leurs femmes en consultation gynécologique et assistent à la consultation sans gêne ; la brutalité dans les rapports sexuels ; et le donnant-donnant popote-rapport sexuel ».

Grandies dans la violence.

Victimes de violence depuis l’enfance. La maltraitance des enfants, surtout des filles mineures est une forme de violence très répandue mais tue et banalisée. Les enfants orphelins ou ceux qui ne grandissent pas sous le toit de leurs parents sont souvent les cibles. « Nous avons été maltraitées par notre belle-mère pendant toute notre jeunesse. Ma sœur pense qu’elle doit se venger. Elle a eu des problèmes psychologiques et nous sommes allées jusqu’à la faire soigner à l’asile », a raconté une des participantes.

La violence est-elle encouragée la femme elle-même ?
Certains cas ont été cités, où la femme se fait violence. La facilitatrice de l’atelier a parlé des abus sexuels des filles mineures dans le foyer conjugal « une femme tolérait que sa fille soit violée par son mari par ce qu’il subvenait à tous ses besoins et ne voulant pas perdre voiture, argent et bijoux, cette femme n’a pas voulu agir pour protéger sa fille ».

Une gendarme a déclaré « mes collègues disent que les hommes violent les femmes car elles s’habillent presque dénudées. Cela attire les hommes qui veulent découvrir en suite ».

Certaines ont même parlé de « bipages », pour désigner les filles qui « s’habillent avec le nombril à découvert» c’est-à-dire à l’instar des « bips » faits à l’aide des téléphones mobiles quand on veut qu’un correspondant vous rappelle.

A un moment, la salle était très animée et les réponses contradictoires fusaient de partout. « Pourquoi si un homme nu se balade dans la rue, les femmes ne le violent pas ? » ; «il faut respecter la dignité de la femme et elle doit s’habiller décemment » ; « on peut s’habiller pour son propre plaisir » ; «une femme doit respecter son corps et se vêtir de façon responsable », etc.

Concluant le débat, la facilitatrice a rappelé qu’il fallait s’écarter de la tendance à « victimiser » la femme pour la violence sexuelle, car comme l’a dit une des participantes « pourquoi viole t-on une fille de 8 ans, est ce par ce qu’elle a porté une mini-jupe ? ».

Les femmes de Kinkala auraient-elles peur de parler de la violence ?

Au vu du nombre de cas de violences sexuelles déclarées ci-haut, il est évident que beaucoup se taisent. Est-ce par peur de représailles de la part de des auteurs ? Après des descentes porte à porte réalisées par le CJID dans les quartiers de Kinkala, beaucoup subies des violences physiques ou sexuelles pendant les conflits armés par les ex-combattants, l’armée ou les individus.

Une des participantes raconte « pendant la guerre, j’étais enceinte de 6 mois, et j’ai été agressée et frappée au ventre par des ex-combattants en plein marché.» Pour sa part, une Assistante sociale reconnaît « nous recevons plus des cas d’abandon d’enfants, de refus de paternité, des gardes d’enfants, mais pas de violence ».

Il semble évident que pour certaines femmes et filles de Kinkala la violence faite aux femmes est assimilée uniquement à la « violence sexuelle ». Les autres formes de violence sont incomprises, et donc ne sont pas déclarées.

Pour porter plainte, les survivantes de violence peuvent se rendre à la gendarmerie. Une gendarme participant au focus raconte « nous recevons des cas des problèmes conjugaux, et nous les traitons, et nous appliquons les procédures même quand le conjoint a tort ».

Intensifier les sensibilisations au moyen de la radio et des SMS

Il a été suggéré aux organisatrices du focus de multiplier les sessions de sensibilisation sur toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles ; de réaliser des émissions radios et de continuer avec l’envoi des informations par SMS aux autorités et habitants de Kinkala pour briser ce silence et permettre à davantage de survivantes de violence de trouver du soutien.

Elles prévoient également la formation en informatique et internet, car il n’y a pas un seul cybercafé dans Kinkala et les femmes n’ont pas accès à des sources d’information et de formation diversifiées. Il serait également stratégique pour le CJID de favoriser la création des groupes d’auto soutien des survivantes de violence à la recherche d’un espace sûr pour parler de leurs problèmes.

Le CJID est l’un des récipiendaires des petites subventions du PARF d’APC au Congo pour lutter contre la violence au moyen des technologies de l’information et de la communication (TIC).

Sylvie Niombo